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Qi Gong du Wudang

Des neurosciences au Qi Gong… ou vice-versa ?

Henri Tsiang, DVM (Ancien chef de service, Institut Pasteur de Paris, enseignant de qi gong)

Introduction


Depuis quelques décennies déjà les découvertes en neurosciences ont ouvert des champs entiers de
nouvelles connaissances sur le fonctionnement du système nerveux et de ses relations avec
l’ensemble de l’organisme et avec le monde extérieur.


Quels liens peuvent-elles avoir avec le qi gong, dont l’origine remonte à quelques millénaires ?
A défaut de pouvoir apporter des preuves directes dans les effets du qi gong sur le fonctionnement
du système nerveux, il est aujourd’hui possible de faire quelques corrélations qui peuvent apporter
un éclairage sur les effets inexpliqués de cet art énergétique chinois.
Ceci a été rendu possible grâce au développement des techniques utilisées pour étudier le
fonctionnement du cerveau. En particulier, les techniques d’investigation non invasives comme
l’imagerie médicale et l’enregistrement des activités électriques cérébrales, ont radicalement
bouleversé les connaissances sur le fonctionnement du système nerveux.


Les connaissances sur les mécanismes de régulation des différentes fonctions du système nerveux
permettent de comprendre pourquoi les pratiques du qi gong peuvent trouver des explications à
partir de ce qui a été scientifiquement démontré et accepté dans l’étude du système nerveux.
Ces mécanismes permettent toutes les communications entre le monde extérieur et le monde
intérieur grâce aux sens du toucher, de la vision, du goût, de l’audition. Les récepteurs de l’équilibre,
ceux qui nous renseignent sur l’état de nos muscles ou de nos articulations, ou de nos viscères
permettent d’avoir une conscience intérieure de nous-même. Le qi gong permet d’améliorer les
perceptions du monde extérieur et du monde intérieur avec la conscience de soi.


C’est ainsi que les connaissances en neuro-gastro-entérologie permettent depuis le siècle dernier, de
comprendre pourquoi les chinois ont parlé de « second cerveau ». Ce vaste sujet mérite une étude
complète et pluridisciplinaire qui permettrait de valider les approches holistiques du qi gong mais
également d’enrichir l’étude des relations entre le cerveau et le système digestif, sur la base des
connaissances en médecine traditionnelle chinoise. Ceci ne peut qu’être profitable aux récentes
orientations de recherche sur l’axe cerveau/sphère gastro-intestinal «
Brain gut axis », poursuivant
les connaissances plus anciennes sur l’axe système nerveux central/système nerveux viscéral
(autonome).


Les mécanismes physiologiques de la respiration peuvent aussi apporter des arguments pour
comprendre pourquoi la respiration, si importante non seulement en Chine mais dans beaucoup de
cultures asiatiques comme en Inde, peut avoir des effets bénéfiques dans les domaines de
l’endocrinologie, de l’immunité ou du contrôle des états émotionnels.


Les découvertes plus récentes au cours de cette dernière décennie dans le domaine de la
neuroplasticité, permettent de mieux comprendre comment la gestuelle dans la pratique du qi gong
permet de remodeler le fonctionnement du cerveau en imprimant ou en renforçant les circuits de
communication entre le système nerveux et le reste de l’organisme, réalisant la fusion du mental
avec le physique.


Activité Electrique Cérébrale


On sait depuis longtemps qu’il est possible d’enregistrer l’activité électrique du cerveau à l’aide
d’électrodes placées à la surface du crâne. C’est une des premières mesures que l’on peut faire pour
montrer des variations de fonctionnement des aires cérébrales. On peut ainsi réaliser des
enregistrements ou électro-encéphalogrammes ( EEG ) des variations de cette activité chez des
personnes pratiquants le qi gong.


Que peut-on mesurer avec des enregistrements de l’activité électrique du cerveau ? Avec ces
enregistrements, on peut caractériser les états de sommeil et de veille qui se traduisent par des
ondes de fréquences différentes. Ils permettent de déceler des pathologies dans le fonctionnement
du système nerveux central, en particulier des troubles du sommeil, ou mettre en évidence des
phases épileptiques.


On distingue principalement deux états de sommeil : un sommeil profond caractérisé par des ondes
Delta de faible fréquence (0-4 Hz) et un sommeil léger à fréquence plus élevée (4-7 Hz), les ondes
Theta. Les ondes caractérisant l’éveil ou ondes Beta, ont des fréquences élevées ((12-45 Hz) et
indiquent des phases d’activité alors que le repos éveillé est évoqué par les ondes Alpha de
fréquence plus faible (7-12 Hz).


Les profils d’ondes peuvent varier suivant la position des électrodes, des subdivisions subtiles et des
situations particulières comme l’existence d’ondes Gamma (30-100Hz) qui indiquent une intense
activité motrice par exemple et qui est retrouvée chez les méditants confirmés. Il existe aussi des
profils particuliers avec une forte activité oculaire pendant le sommeil ou REM (Rapid Eye Movement)
communément appelé sommeil paradoxal. L’âge modifie aussi les profils des EEG.


La pratique de qi gong va changer les caractéristiques de l’activité électrique. Il y aurait plus d’ondes
Alpha et Theta, indiquant un état de plus grand repos cérébral et de sortie du stress. On observe non
seulement une diminution des fréquences des ondes cérébrales, mais aussi une diminution de
l’amplitude de celles-ci.


Les EEG indiquent donc qu’il y a des modifications de l’activité cérébrale chez les personnes
pratiquant le qi gong. On y retrouve des modifications qui évoquent certains des aspects de la
méditation.


Le Second Cerveau et la Neuro Gastro Entérologie


Depuis l’année dernière, un grand nombre d’articles dans les journaux et les périodiques parlent de
« second cerveau » comme d’une découverte scientifique moderne.


C’est un fait d’observation courante que les émotions fortes, les difficultés de la vie courante, les
ennuis de travail se manifestent par des troubles psychologiques mais également par la sensation

d’avoir l’estomac noué. « Avoir des tripes » ne concerne pas uniquement un courage volontaire du
système nerveux mais indique bien une relation entre ces deux entités? Une peur intense peut
déclencher des cataclysmes intestinaux qui a priori n’ont aucune raison de se produire si une
relation physiologique et une communication permanente n’existaient entre les deux « cerveaux ».


Pour les Taoïstes, une région de l’abdomen, le Dan Tien est un centre énergétique important et a été
considéré comme étant un second cerveau depuis plus de deux millénaires. La prise de conscience de
l’existence de ce centre et de son fonctionnement est une donnée importante pour le qi gong. Ce
concept taoïste a été repris et développé par un maître de qi gong, Mantak Chia dans un livre sur le
Chi Kong du Second Cerveau. Il y décrit les moyens de « cultiver et condenser le Chi dans le Tan Tien
Inférieur
». Malheureusement, l’iconographie utilisée pour illustrer le second cerveau qui
accompagne les textes est souvent naïve et n’a certes pas participé à sa crédibilité. L’assimilation de
la région des viscères à un second cerveau n’a pas manqué de susciter incrédulité et moqueries de la
part des scientifiques.


Cependant, à la fin du siècle dernier, de nombreuses recherches sur les liens des intestins avec le
cerveau font état d’un axe encéphale/système digestif de plus en plus évident. Il y a eu un tournant
en 1998 avec la publication d’un livre intitulé :
The Second Brain ou « Your gut has a mind of its
own
» (1998) par Michael D. Gershon, directeur du département d’anatomie et de biologie cellulaire
à l’Université de Columbia à New-York. Dans cet ouvrage, l’auteur décrit l’existence de neurones et
de neurotransmetteurs dans les intestins identiques à ceux présents dans l’encéphale. Ils ont à peu
près les mêmes fonctions, en particulier en ce qui concerne les émotions. Ce n’est que très
récemment que les médias, la grande presse, la radio et la télévision parlent de « second cerveau »
d’articles saluant l’émergence d’un « nouveau concept » grâce à la recherche scientifique.


En effet, un réseau de neurones contrôle les fonctions digestives de l’œsophage, de l’estomac, et
des intestins jusqu’au rectum. Le nombre de neurones est estimé entre 100 et 200 millions. Nous
sommes loin des 86 milliards de neurones de l’encéphale. Cependant les neurones du système
digestif sont particulièrement efficaces pour établir des connexions avec le reste des fonctions de
l’organisme et rivalisent avec les capacités de connexion directe de l’encéphale avec elles. Les
neurones intestinaux interviennent aussi dans des domaines aussi différents que la régulation des
cycles de sommeil, la régulation de la douleur et de l’anxiété, entre autres.


La principale connexion entre l’encéphale et le système nerveux entérique est le nerf vague, 10
ème
paire des nerfs. Les principaux neurotransmetteurs du SNC, des neuropeptides du système digestif,
des enképhalines et des endorphines, ainsi que leurs récepteurs sont présents dans le tube digestif.
La sérotonine y est produite en grande quantité ainsi que beaucoup d’autres neurotransmetteurs tels
que la dopamine, l’acide glutamique, la noradrénaline, etc.


La conception des taoïstes sur le Dan Tien pourrait s’expliquer par le rôle central de l’état des
« viscères » sur le fonctionnement des autres organes internes avec lesquels ils ont de très
nombreuses connexions. Ainsi, les effets du qi gong sur les « viscères » peuvent avoir des
conséquences directes sur le fonctionnement du cerveau dit « supérieur » et influer sur les états
émotionnels et psychologiques.


Les Taoïstes étaient bien des précurseurs pour avoir découvert empiriquement des fonctions que
l’étude superficielle de l’anatomie ne pouvait pas laisser imaginer.


Le Microbiote


Depuis quelques années, les chercheurs se sont beaucoup intéressés aux bactéries présentes dans
l’intestin qui en héberge 10 fois plus que notre organisme ne possède de cellules, soit 100 milles
milliards de bactéries. Un important programme de recherche tente de séquencer l’ensemble du
génome (appelé métagénome ou microbiome) de cet écosystème. Le but est de comprendre les
interactions existantes entre les bactéries intestinales et leurs relations avec le génome humain. Car
ces bactéries en effet interagissent avec l’organisme qui les héberge. Elles interviennent dans la
digestion, synthétisent certaines vitamines, contribuent au bon fonctionnement du système
immunitaire et protègent contre des bactéries pathogènes.
Chaque individu héberge un microbiote qui lui est propre, en fonction de son génome, de son
environnement et de ses habitudes alimentaires. Cet écosystème individuel devient l’objet de toutes
les attentions car le profil génétique de notre microbiote pourrait jouer un rôle majeur à côté de
notre propre génome dans le développement de pathologies telles que les maladies inflammatoires
ou l’obésité, ou dans la réponse aux traitements médicamenteux. Elles jouent un rôle sur de
nombreux désordres dont l’origine de certaines pouvait auparavant être attribuée à des pathologies
du cerveau.


Des recherches encore plus récentes datant de 1, 4 ans suggèrent que la nature de la flore intestinale
va influer sur le fonctionnement du système nerveux central. Ces études réalisées à partir de souris
sans germe dans le système digestif, puis ensemencées avec des flores déterminées montrent des
variations dans le comportement suivant la nature des bactéries de la flore. Ces résultats indiquent
l’importance de l’équilibre de la flore intestinale et donc de la diététique.


Le microbiote peut donc potentiellement influencer notre comportement par son action sur le
fonctionnement du cerveau dit supérieur !


Les effets « mystérieux » de la respiration


Examinons maintenant le système respiratoire. Quoi de plus naturel que la respiration ? Nous y
sommes tellement habitués que c’est seulement quand on fait l’effort d’y penser que nous prenons
conscience de son existence. On y fait attention lorsqu’on se trouve dans une situation inhabituelle :
de surprise, de peur, d’angoisse, de stress, d’efforts physiques. On a le « souffle court », le « souffle
coupé ». On ne survit pas si on ne respire pas pendant un temps de l’ordre de quelques minutes.


Alors pourquoi dit-on qu’il faut se concentrer sur sa respiration dans toutes sortes de pratiques, yoga,
qi gong, tai chi, méditation, sophrologie, reiki, relaxation, harmonisation du corps et de l’esprit, etc.?
Alors qu’il s’agit d’un phénomène physiologique « naturel » ? Les pratiques récentes et
contemporaines de développement personnel, de bien-être, d’épanouissement personnel, etc., …….
« découvrent » l’importance de la respiration depuis le siècle dernier dans les pays développés.


Faisons un bref rappel sur le système respiratoire. A quoi sert-il de respirer ? La respiration permet
de renouveler l’oxygène du sang et donc de nourrir l’ensemble de l’organisme en énergie, et
d’éliminer le CO2. Des centres de coordination vont gérer automatiquement toutes les fonctions :
impulsions pour activer les groupes de muscles actifs pour inspirer puis expirer l’air ; réseau de
capteurs pour connaître la composition en oxygène et en CO2 ; coordination automatique pour
modifier le débit d’air en fonction des activités physiques, des émotions, des réflexes
d’éternuements, de toux, etc. Les centres nerveux qui fonctionnent de façon autonome pour tous
ces contrôles se trouvent dans le bulbe.


En revanche, nous avons la possibilité de modifier volontairement les paramètres de la respiration,
par exemple en faisant de l’hyperventilation ou en se mettant en apnée, etc. On peut donc « retenir
son souffle » volontairement ou pousser un soupir de soulagement. Dans le cas d’une respiration
consciente, ce sont les neurones corticaux moteurs qui vont prendre les commandes et diriger les
opérations. C’est comme si un pilotage automatique passait en mode manuel ! Il n’existe pas un
centre bien identifié dans le cortex, mais des zones diffuses qui sont en relation avec d’autres régions
du cerveau. L’activation de ces neurones par une intention de respiration consciente va donc se
diffuser non seulement dans d’autres neurones du cortex, mais également dans les noyaux profonds
du cerveau (système limbique, amygdale, ganglion de la base, hypothalamus, cervelet etc.),
intervenant ainsi dans la régulation des glandes endocrines, des réponses immunitaires, dans les
états émotionnels et dans la plupart des centres nerveux cognitifs.


Autrement dit, faire une respiration volontaire va stimuler des neurones corticaux qui sont en
relation avec l’ensemble des fonctions cérébrales.


Ce n’est donc pas la respiration elle-même qui va directement produire des effets sur le système
nerveux mais probablement la stimulation indifférenciée de réseaux neuronaux qui vont produire
des « effets secondaires ». Ceci n’exclut évidemment pas les effets directs de l’hyperventilation sur la
modification des états mentaux. On sait en effet que l’hyperventilation modifie les tracés des EEG
avec apparition d’ondes lentes diffuses et une baisse générale du niveau de vigilance. Elle modifie
également les états de conscience, provoque un relâchement de la pensée analytique et diminue les
réflexes de défense. Le potentiel émotionnel est augmenté avec une plus grande suggestibilité et une
plus grande « ouverture d’esprit ». L’ensemble de ces phénomènes permettent de comprendre
pourquoi la respiration peut agir bien au-delà de ce qui est prévisible.


Ces mécanismes parfaitement identifiés permettent de comprendre certains des « effets
mystérieux » de la pratique du qi gong : une démultiplication des effets secondaires de la
respiration sur tous les centres de coordination du système nerveux central.


On peut comprendre que toutes les techniques sur la respiration et en particulier pour provoquer
l’hyperventilation soient utilisées dans tous les cas où on cherche à provoquer une plus grande
réceptivité des personnes. Ce n’est donc pas un hasard si les sectes utilisent ces techniques pour
manipuler encore plus facilement des personnes déjà fragiles au départ et leur font perdre le sens
des réalités.


Plasticité du système nerveux


La découverte de la neuroplasticité est le résultat d’observations cliniques de personnes accidentées
qui ont eu des nerfs sectionnés et qui récupèrent une partie des handicaps sans intervention
réparatrice. Quelques exemples sont fournis par le Docteur Norman Doidge dans son livre
« The
Brain that changes itself »
paru en 2008. Des techniques permettent de faciliter le renforcement de
connections nerveuses existantes ou de diriger des informations nerveuses vers d’autres voies que
celles habituellement utilisées. Grâce à un entraînement ciblé, les voies nerveuses « empruntées »
vont devenir de plus en plus efficaces pour véhiculer ces informations, se substituant ainsi à celles
qui ne sont plus opérationnelles.


Pour un bref rappel, il faut savoir que les informations consistent en signaux chimiques, les
neurotransmetteurs et en signaux électriques sous forme d’influx nerveux le long des axones. Si un
axone est coupé, l’information nerveuse ne passe plus. S’il s’agit d’un nerf sensitif, on ne sent plus,
s’il s’agit d’un nerf moteur, le muscle qui en dépend ne bouge plus, il est paralysé. Si l’axone d’un
neurone est coupé, ses dendrites vont dégénérer et le neurone récepteur va mourir.


Or le neurone émetteur est capable de trouver d’autres voies nerveuses qui n’étaient pas destinées à
ces fonctions et qui vont fonctionner comme un substitut des circuits détruits. Le système nerveux va
donc compenser son handicap en utilisant des voies bis. Ainsi le système nerveux est capable de
trouver des solutions de remplacement en utilisant des voies nerveuses qui n’étaient pas dédiées à la
fonction du nerf lésé. Cette plasticité du neurone est bien documentée au niveau cellulaire. Mais
cette capacité d’adaptation est également observée au niveau tissulaire. En effet, des aires du
cerveau ayant des fonctions définies peuvent partiellement suppléer à des déficiences constatées
dans des aires dont les fonctions sont radicalement différentes. Il ne s’agit pas de nouveaux neurones
qui vont remplacer ceux qui sont morts, il s’agit de détournements de fonctions.


De la même façon, la répétition d’un exercice va renforcer les circuits nerveux qui sont sollicités.
C’est ainsi que l’aire corticale correspondant aux doigts d’un pianiste virtuose va être plus grande
que celle d’un non pianiste. Ainsi la trace laissée par un signal est concrète et va modifier la structure
même du cerveau. Elle va renforcer la structure qui permet sa transmission et va favoriser
l’établissement de nouvelles synapses. Elle peut même induire l’activation ou la désactivation de
certains gènes dans notre ADN.


On peut concevoir que dans la pratique du qi gong, la répétition d’un exercice va renforcer les
circuits neuronaux pour l’organisation, la coordination de cet exercice et laisser des traces
pérennes dans les aires corticales stimulées.


Des neurones miroirs aux neurones mémoires


Certains neurones du cortex sont spécialisés pour « copier » le geste pratiqué par une autre
personne. Ces neurones sont donc très importants pour la première étape d’apprentissage
des mouvements corporels dans le qi gong. Ils seraient aussi impliqués dans la
reconnaissance des expressions du visage et auraient un rôle dans l’empathie et la
communication sociale. Les mécanismes de la neuroplasticité vont permettre de renforcer
les circuits de communication des neurones miroirs par la répétition des stimulations
d’apprentissage.


Si les neurones miroirs semblent jouer un rôle majeur dans la première étape de l’imitation
du geste, il semblerait que leur stimulation ne soit pas suffisante pour l’acquisition d’un
mouvement de qi gong de complexité moyenne. Une coordination est nécessaire, c’est le
rôle du cervelet. Enfin, la mémorisation de l’exercice permettra au pratiquant de réaliser
l’exercice en visualisant virtuellement ses gestes. En effet, lorsqu’un enseignant s’arrête au
milieu d’un exercice qui a déjà été enseigné, certains s’arrêtent et d’autres sont capables de
continuer seuls. Il est probable que l’absence de mémorisation soit responsable de la
difficulté de certains à reproduire le mouvement uniquement par l’observation visuelle.


C’est l’étape de mémorisation qui manque. Ceci explique aussi la difficulté de nombreux
élèves à reproduire les exercices à domicile pour ne pas les avoir intégrés durablement.


L’hippocampe a été identifié comme siège de la mémoire. Or cet organe augmente
également de volume pour des tâches demandant beaucoup de mémoire. C’est le cas des
chauffeurs de taxi qui mémorisent les adresses et la perception spatiale des repères. On
observe une augmentation du nombre de synapses chez les chauffeurs expérimentés. Des
modifications structurales sont aussi visibles dans la région du cortex moteur concerné et
dans le cervelet qui gère la coordination des mouvements.


L’acquisition de compétences augmente aussi la faculté à apprendre de nouvelles tâches. On
sait que l’hippocampe joue un rôle central dans la mémorisation de nouveaux éléments.
L’hippocampe joue également un rôle dans la représentation spatiale, l’orientation,
l’acquisition de nouvelles tâches ainsi que dans les réponses émotionnelles. A côté de notre
base génétique, l’apprentissage et la culture, notre expérience de vie vont laisser des traces
anatomiques permanentes dans le cerveau. Nos actions et nos motivations vont être le
résultat de l’accumulation d’informations et de la confrontation de celles-ci avec des
stimulations provenant du monde extérieur.


On peut imaginer que ces données peuvent s’appliquer à la pratique du qi gong. Une
pratique fréquente va augmenter l’habileté à réaliser une bonne gestuelle et va favoriser
l’apprentissage de nouveaux exercices et leur mémorisation. Ces qualités pourraient
s’accompagner d’une augmentation progressive du nombre de synapses et renforcer les
capacités du cerveau dans la gestion des tâches difficiles.


Il apparaît que le vieillissement du cerveau n’est pas tant l’effet de l’âge que celui du
manque d’utilisation du cerveau qui va se traduire par une disparition progressive des
synapses et donc par une moindre capacité à répondre aux stimulations extérieures et
intérieures. Il est probable que les effets globaux en neurosciences dans la pratique du qi
gong soient le résultat d’une combinaison subtile d’un effet gymnastique, de celui que
provoque une respiration consciente, et des effets de l’accumulation des modifications
physiologiques qui s’inscrivent dans les circuits neuronaux.


Attention – Concentration – Intention


Dans la pratique du qi gong, on accorde une grande importance à la concentration,
l’attention et l’intention. Effectivement, des exercices effectués de façon distraite et sous la
pression d’évènements extérieurs n’apportent pas le sentiment de plénitude attendue. C’est
le cortex préfrontal qui joue le rôle de gestionnaire de notre attention. Il détermine l’ordre
des priorités, élimine les informations non utiles et toutes les sources de distraction qui
risquent de paralyser son jugement. On peut considérer que le premier outil contre le stress,
c’est de faire des choix qui permettent de l’éviter. Dans la pratique du qi gong, le rôle du
cortex préfrontal est donc déterminant pour apporter toute l’attention nécessaire à l’action
gestuelle.


Mais lorsque nous nous concentrons sur la trajectoire du bras, puis sur la respiration, puis
sur l’enracinement, nous sélectionnons séquentiellement l’objet de notre concentration en
modifiant les cibles grâce à l’intention. Cette attention sélective visuo-spatiale implique le
travail du cortex pariétal. C’est un véritable travail d’équipe.


On sait par ailleurs qu’une analyse de situation et sa gestion exige ces qualités. Que sommesnous en train de gérer dans la quotidienneté ? Nous traitons tout simplement des
informations qui viennent de l’extérieur et de l’intérieur de nous-même. Ces informations
viennent de l’extérieur et sont collectées par nos récepteurs : visuels, auditifs, gustatifs,
olfactifs et tactiles. Elles viennent aussi de l’intérieur sous forme de l’éducation et de la
formation que nous avons subies ou reçues, et de l’expérience de vie que nous avons vécue.


Outre le renforcement des qualités de relations avec l’extérieur, le développement des
capacités de concentration consciente s’appliquent également aux perceptions intérieures :
pensées, émotions, états physiologiques, proprioception des articulations, des tendons et
des viscères. Autrement dit, elles permettent de faire des choix entre différentes options
possibles grâce à une vision claire de l’ensemble de la situation, favorisant ainsi des prises de
décisions plus appropriées. Le stress survient lorsque nous ne sommes plus capables de
prendre de décision ou d’établir des priorités.


C’est bien la confrontation de ces sources d’informations qui sont à l’origine des situations
de conflits lorsque l’une n’arrive pas à gérer l’autre. On arrive à une situation de stress voire
du fameux
burn-out. Une analyse des informations va nous inciter à agir (fuite ou attaque).
Le pratiquant de qi gong va renforcer les structures nerveuses impliquées. Sa pratique
requiert une intention consciente des gestes à réaliser grâce à une forte concentration. Que
ce soit pour réussir un exercice de qi gong difficile ou pour une analyser une situation
professionnelle ou affective inextricable, les qualités requises sont les mêmes.


Le qi gong entraîne donc le cerveau à renforcer ses capacités cognitives par les exercices qui
vont solliciter différentes parties du cerveau, améliorer les connexions entre elles et les faire
travailler en réseau. Le qi gong améliore la gestion des informations extérieures, mais
également des conflits entre différents éléments intérieurs en intervenant sur les circuits
neuronaux qui gèrent l’attention, la concentration, l’intention, le choix des priorités, la prise
de décision, etc. Le qi gong participerait ainsi à une véritable reconstruction du système
nerveux et à un renforcement de l’unité d’action des activités mentales et corporelles.

Limites des interactions neurosciences/arts
énergétiques


L’utilisation des neurosciences pour apporter une explication aux mécanismes du qi gong a
cependant des limites. La première est celle de leurs champs de compétences. Si en effet la
connaissance des mécanismes physiologiques permet d’expliquer un certain nombre des
effets dans la pratique du qi gong à l’instar de ce qui a été évoqué, elle ne permet pas
d’aborder le versant énergétique de celle-ci. Les mécanismes de fonctionnement du système
nerveux, des systèmes digestif, respiratoire, cardiaque, du système immuno-endocrinien, y
compris des performances cognitives, peuvent être confrontés aux effets du qi gong avec
des analyses mesurables par les techniques biomédicales. Toutes ces disciplines permettent
de mesurer les effets de la pratique du qi gong, d’identifier un certain nombre d’interface où
un langage commun peut se mettre en place.
Il est cependant difficile de pouvoir faire le lien de
cause à effet par un processus scientifiquement démontrable.


En revanche, aucune de ces disciplines aujourd’hui ne permet la moindre compréhension
sérieuse des règles intimes qui gouvernent le fonctionnement du qi, la logique des méridiens,
les différents niveaux de compréhension des énergies, l’existence du dan tien ou du triple
réchauffeur, les interactions entre le qi (énergie), le shen (esprit) et le yi (intention). La
science cartésienne, pour avoir analysé tous les organes séparément, n’a pas encore réussi à
faire un travail d’intégration sur l’interactivité de l’ensemble des fonctions physiologiques et
cognitives. Elle est passée de l’organe à la molécule, puis à la cellule et enfin au moléculaire
avec l’ambition d’aller encore plus loin vers l’infiniment petit. Si elle a donné
d’extraordinaires résultats dans les connaissances des sciences du vivant, elle n’a peut-être
pas encore abordé toutes les potentialités de ses outils technologiques.


D’un autre côté, les aspects énergétiques ne se laissent pas facilement analyser par les
technologies disponibles actuellement. En effet, tous les éléments qui font le socle du qi
gong, et donc de la médecine chinoise relèvent de l’invisible. Le qi, les méridiens, toutes les
relations entre les organes des cinq éléments ne sont pas directement analysables par les
techniques de mesures, toutes disciplines confondues. Ils relèvent de l’invisible et sont
indescriptibles et ne peuvent s’acquérir qu’après un long travail sur soi-même. L’acquisition
de capacités qui ne sont pas descriptibles par une démarche scientifique ne peut se baser
que sur l’accumulation d’expériences individuelle qui par nature sont indéfinissables mais
qui finissent bien par formater l’organisme suivant ses propres règles.


A l’heure actuelle, il n’existe aucune interface réelle de communication entre ces deux
approches du vivant radicalement différentes. Il faudra sans doute attendre l’émergence de
nouvelles disciplines scientifiques susceptibles de mesurer ou d’identifier les bases des effets
énergétiques pour espérer avancer sérieusement dans ce domaine.


Une des conséquences de cette constatation, c’est de conclure qu’aucune avancée
technologique et/ou scientifique disponible à ce jour n’aurait permis d’inventer les éléments
de la médecine chinoise et du qi gong. L’originalité de l’approche chinoise réside dans la
recherche de l’essence des choses et donc de l’invisible et non de la forme qui peut en
camoufler la nature.
Ainsi, si les neurosciences sont des outils intéressants pour explorer certains aspects
physiologiques du qi gong, elles semblent insuffisantes pour en explorer l’essence dans le
domaine énergétique.


Ressentir ou comprendre et expliquer ?


Il y a une difficulté supplémentaire. Toutes les personnes ayant tant soit peu pratiqué le qi
gong se rendent compte que le ressenti est plus important que la compréhension. Le chemin
pour accéder à la perception des subtilités des sensations est plus ardu que pour
l’acquisition des connaissances théoriques ou même pratiques. Ceci est encore amplifié par
le fait que depuis quelque temps, les observations et les expériences en sciences cognitives
ont montré que la verbalisation est un frein au développement de la capacité à ressentir.
Plus on introduit de discours dans la transmission d’un savoir et d’une pratique, moins nous
serions capables de ressentir les effets de ceux-ci. Dans les sociétés ou la culture de la
connaissance et du discours est forte et où la compréhension est une étape préliminaire à
l’action, le travail sur le ressenti peut en être sérieusement retardé.


On peut donc se demander s’il est pertinent de faire entrer les neurosciences dans la
pratique du qi gong, et si les conséquences seront globalement positives ou négatives ? Eston en train de faire un apport au qi gong ou au contraire est-on en train de réduire son
champ d’action?


Mais il existe d’autres limites plus subtiles. Il ne faudrait pas que les sciences dites exactes
ne phagocytent les arts énergétiques en imposant leurs règles de fonctionnement et leurs
références de compétences et ne valident que ce qui est mesurable, observable, vérifiable
de par leurs standards. Cette démarche évacuerait radicalement une grande partie de ce qui
fait la richesse des arts énergétiques asiatiques. On peut constater cette dérive dans la
démarche de valider scientifiquement ceux-ci par différents processus, en particulier à partir
des mouvances
« New Age » qui ont pris naissance depuis le siècle dernier à partir des
milieux scientifiques des universités américaines.


D’un autre côté, c’est bien ces tendances qui ont fait connaître et reconnaître toutes les
pratiques asiatiques jusqu’alors inconnues en Occident. C’est ainsi que les dernières
contributions universitaires ont fait adhérer un grand nombre de pratiquant aux vertus du
Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR), rassurés par la caution scientifique qu’apporte
l’origine universitaire de leurs fondateurs. Ces mouvances scientifiques des arts

énergétiques sont d’autant mieux acceptées qu’elles sont fortement appuyées sur une
dialectique adaptée à la mentalité occidentale, avide de mots pour comprendre. Face au
discours scientifique occidental sur les pratiques énergétiques, le mutisme des taoïstes
risque de leur être fatal dans la compétition médiatique.
On peut aussi percevoir cette tendance de standardisation en Chine où les associations de qi
gong ont défini des formes officielles de pratiques. On peut parfaitement comprendre cette
démarche qui est sans doute nécessaire à l’ère de la mondialisation, mais elle risque en
même temps d’être réductrice pour son évolution. N’oublions pas qu’une partie de la
richesse du qi gong réside dans sa capacité de renouvellement grâce à des initiatives
individuelles. Un formatage des pratiques de qi gong va certainement en favoriser le
développement, mais son excès risque d’en réduire la richesse.


Mais il convient de ne pas opposer la nécessaire dureté de la rigueur de la réflexion
scientifique à la fluidité des pratiques énergétiques. Il faut les considérer comme les deux
versants non opposables d’une même réalité. Ce point de vue permet d’élargir le champ
des potentialités suivant les principes du Yi Jing tout en participant à la notion Yin et Yang
de complémentarité.


Sur la question de l’immortalité

Pour conclure sur une note optimiste, il existe un domaine dans lequel science occidentale
et sciences énergétiques vont peut-être se rejoindre : il s’agit de l’immortalité.
L’augmentation de l’espérance de vie qui a triplé depuis une période de vie courte de
l’histoire de l’humanité nous fait espérer, sinon l’immortalité, tout du moins une longévité
exceptionnelle pour le siècle dans lequel nous sommes. Grâce aux découvertes des
neurosciences, elle s’accompagne de l’heureuse nouvelle que notre cerveau ne cesse de se
régénérer tout au long de notre vie à condition qu’il soit stimulé en permanence malgré la
perte progressive de neurones. Nous avons ici une configuration qui rappelle les
préoccupations des taoïstes sur la santé et sur l’immortalité. Ils ont largement contribué à
mettre au point les techniques de qi gong qui permettent justement d’évoluer tout le long
de sa vie dans la bonne posture pour la prolonger dans les meilleures conditions de santé
physique et mentale ; ces deux aspects étant fusionnés dans le maintien d’un bon
fonctionnement cérébral, condition nécessaire à une longévité heureuse.
Colloque de la Fédération Française de Wushu – Arts Energétiques et Martiaux Chinois
(Paris 13 avril 2013)